芸術とはなにかーマルクーゼの一文を読んで

アートはブルジョア社会の教説が囲んだ他性を解放するとき、エロスは<同じであるな!>と突き動かしてくる。独占された現実を告発し自立するためには理念なくしてはやっていけない

Herbert Marcuse

ー Forme, autonomie et vérité

Forme ascétique, autonomie et vérité sont interdépendantes. Elles sont autant de phénomènes socio-historiques qui transcendent l’enceinte du socio-historique. Si celle-ci limite l’autonomie de l’art, elle la fait sans invalider les vérités transhistoriques exprimées dans l’œuvre. La vérité de l’art réside dans son pouvoir de rompre le monopole de la réalité établie (c’est-à-dire de ceux qui l’ont établie) pour définir ce qui est réel. En consommant cette rupture, qui est le résultat de la forme esthétique, le monde fictif de l’art apparaît comme la vraie réalité.

L’art est voué à la perception d’un monde qui aliène les individus à leur existence fonctionnelle et à l’accomplissement de leurs rôles sociaux — l’art est voué à l’émancipation de la sensibilité, de l’imagination et de la raison dans toutes les aires de subjectivité et d’objectivité. Mais ce succès supposa un degré d’autonomie qui arrache l’art à la puissance de mystification de donner et le libère, en lui permettant d’exprimer sa vérité propre. Dans la mesure où l’homme et la nature sont constitués par une société non libre, leur potentiel réprimé et déformé ne peut être représenté que sous une forme qui distance et détache. Le monde de l’art est celui d’un principe de réalité différent, celui de l’altérité, et ce n’est que par son altérité que l’art remplit une fonction cognitive : il communique des vérités qui ne sont communicables dans aucun autre langage, il contredit.

Cependant, de fortes tendances affirmatives à la conciliation avec la réalité établie coexistent avec les tendances rebelles. Je vais essayer de montrer que les premières ne sont pas dues à la détermination de classe spécifique de l’art mais plutôt au caractère rédempteur de la catharsis. La catharsis elle-même se fonde sur le pouvoir de la forme esthétique d’appeler le destin — par son nom, de démystifier cette force, de donner la parole aux victimes — soit sur le pouvoir de reconnaissance qui donna à l’individu un minimum de liberté et d’épanouissement dans le royaume du manque de liberté. Le jeu entre la confirmation et la mise en accusation de ce qui est, entre idéologie et vérité, appartient à la structure même de l’art (…). Dans les œuvres authentiques, l’affirmation n’annule pas la mise en accusation : la réconciliation et l’espoir conservent encore le souvenir du passé.

Le caractère affirmatif de l’art a encore une autre source, car l’art est engagé aux côtés d’Eros, il affirme impérieusement les instincts de vie dans leur lutte contre l’oppression sociale et instinctuelle. La permanence de l’art, son immortalité historique tout au long de millénaires de destruction, témoignent de cet engagement (…)

Le potentiel radical de l’art réside précisément dans son caractère idéologique, dans son rapport transcendant avec la « base ». L’idéologie n’est pas toujours idéologie pure et simple, fausse conscience. La conscience et la représentation de vérités qui apparaissent abstraites par rapport au procès de production établi sont aussi des fonctions idéologiques. L’art présente une de ces vérités. En tant qu’idéologie, il s’oppose à la société donnée. L’autonomie de l’art comporte l’impératif catégorique que « les choses doivent changer ». Si la libération des êtres humains et de la nature peut du tout être rendue possible, il faut briser le réseau social de la destruction et de la soumission… Ceci ne signifie pas que la révolution devienne un thème nécessaire ; bien au contraire, elle n’est pas thématisée dans les œuvres esthétiquement les plus parfaites. Il semble que, dans ces œuvres, la nécessité de la révolution soit posée d’avance, en tant qu’a priori de l’art. Mais la révolution y est aussi en quelque sorte dépassée et la question est posée de savoir dans quelle mesure elle répond à l’angoisse de l’être humain, dans quelle mesure elle parvient à rompre avec le passé.